La régulation neurophysiologique de l’enfant
- Dr Saverio Tomasella

- 8 oct.
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 9 oct.
De nombreux enfants rencontrent des difficultés de régulation, surtout s'ils sont particulièrement sensibles. Très souvent, les adultes attribuent aux comportements de ces enfants une intentionnalité – comme s’ils le faisaient exprès – qui renforce le recours aux punitions, ce qui leur permet de justifier un système d’évaluation déstabilisant fait de sanctions et de récompenses.
Considérer un enfant qui cherche à bien faire comme un enfant « mauvais » ou « animé de mauvaises intentions » constitue une véritable tragédie pour elle ou pour lui.
En réalité, la théorie polyvagale nous apprend que nos comportements sont guidés par le système nerveux autonome. Il est regrettable que certains psychologues compliquent et distordent la réalité en développant des concepts abstraits qui ne tiennent pas compte de la simplicité physiologique. Ils se focalisent sur le contrôle des émotions, l’anxiété et les troubles psychopathologiques, sans observer ce qui se passe réellement dans le corps.
Le besoin de connexion et l’intelligence relationnelle
Les adultes ont tendance à juger rapidement les enfants, surtout lorsqu’ils sont en mouvement, et peuvent les qualifier de mauvais, entraînant leur isolement. Cette attitude est liée à des attentes d’autocontrôle et à des modèles d’apprentissage mécaniques, fondés sur des théories abstraites qui négligent la réalité corporelle. Alors que les besoins fondamentaux de l’enfant sont la proximité, le contact, la présence, la réciprocité, la compréhension et la régulation.
L’intelligence relationnelle aide à reconnaître la réalité physiologique du mouvement. Les mouvements permettent au corps de retrouver son calme et expriment fidèlement l’état émotionnel de l’enfant. Ce dernier cherche des signes d’accueil et de soutien, alors qu’il reçoit le plus souvent des signes d’agression.
Les enfants manifestent le désir de se connecter et d’intégrer une relation fiable. Ils observent le visage des adultes pour y déceler des signaux rassurants. Il est essentiel de leur transmettre ces signaux clairs d’ouverture et d’acceptation.
Des pratiques telles que respirer, murmurer, chantonner, chanter, vocaliser ou sucer son pouce contribuent à apaiser le système nerveux autonome, tout en favorisant la socialisation. La recherche de régulation et de corégulation doit être encouragée, tout comme le respect de la capacité de l’enfant à jouer pour se développer. Des exercices neurologiques adaptés à la classe, tels que faire des mouvements simples avec les mains ou jouer avec la voix, peuvent soutenir ce processus. L’usage de la musique aide les enfants à s’organiser et à respecter leur état physiologique ainsi que celui des autres.
Environnement scolaire et importance du jeu
On fera bien de poser des questions à l’enfant : « Voudrais-tu un câlin ? Est-ce que cela t’aiderait à te calmer ? De quoi aurais-tu besoin ? » L’inviter à décrire ce qu’il ressent favorise la compréhension de ce qui lui arrive et évite la stigmatisation.
L’absence de prévisibilité peut provoquer des attaques de panique. Dans une salle de classe, l’imprévisibilité des mouvements, des bruits, des lumières, des odeurs, des directives et des blâmes rend la régulation difficile. Les situations de harcèlement résultent souvent d’une dérégulation, tout en la renforçant en retour de façon dramatique. Beaucoup d’enfants sont bloqués dans un état de menace et présentent des troubles digestifs, des troubles du sommeil, du comportement et de l’apprentissage.
Le jeu revêt une importance capitale et mérite d’être revalorisé dans les modèles éducatifs. Il favorise l’apprentissage, la réflexion, la communication et la créativité. Une intéroception fiable, rendue possible par le nerf vague ventral, relie le narratif (le récit sur soi) à l’état neurobiologique du corps. Il existe aussi des biais de négativité – souvent d’origine traumatique – dans l’interprétation faussée des évènements, conduisant à croire à un danger alors qu’il n’y en a pas, puis à se positionner en victime ou en agresseur.
La connexion, l’amour et le partage sont essentiels. Les injonctions telles que « Tais-toi, ne bouge pas, ne fais pas de bruit » censurent la régulation naturelle. Il est primordial de se rappeler que notre cerveau fait partie d’un corps complet bien plus large et plus complexe, et que l’apprentissage est aussi un voyage vers la compréhension de ce que signifie être humain.
L’erreur du tout cognitif
Stephen Porges affirme : « L’évolution de ces vingt dernières années a fait comme si les émotions étaient seulement un processus cérébral, oubliant qu’il s’agit en réalité de processus engageant le corps tout entier. Notre société en paye le prix fort, car cette erreur tend à nous faire croire que nous pourrions volontairement changer ce que nous ressentons, simplement en changeant de pensée ! De même, l’anxiété est traitée avec des drogues, alors qu’elle est l’expression de phénomènes physiologiques. Les enfants se sentent menacés à juste titre, car les écoles font peur aux enfants puisqu’elles reposent sur des protocoles d’éducation et d’évaluation. Apprendre à écouter son corps et rester à son écoute permet non seulement de guérir mais aussi d’apprendre. Chaque enfant devrait pouvoir lever la main et dire librement à son professeur : ’’Puis-je vous parler en privé, car je ne me sens pas bien. Y a-t-il un endroit protégé dans lequel je pourrais aller le temps de me calmer ?’’ Nous sommes trompés par un système éducatif qui nous fait croire qu’il n’y a pas d’autre possibilité et voudrait nous obliger à croire que le seul modèle valable est celui des comportements intentionnels. »
Dre Mona Delahooke complète : « Pendant trente ans, j’étais uniquement focalisée sur les pensées. Je demandais aux enfants de changer leurs pensées, mais l’anxiété est une expérience qui implique tout le corps. Nous ne sommes pas des têtes sans corps, mais nous agissons comme si nous n’avions pas de corps et cela me brise le cœur. Je connais un nombre inimaginable d’enfants anxieux qui sont désespérés parce qu’on leur demande de changer leur comportement anxieux et qu’on les punit de ne pas réussir à le faire. »
La régulation émotionnelle et l’importance de la relation
L’isolement est une des expériences les plus douloureuses pour l’être humain. À l’inverse, la corégulation constitue un phénomène fondamental dans les relations humaines et chez les mammifères en général. Il est crucial de développer une plus grande flexibilité dans la capacité à se réguler soi-même, mais aussi à accompagner la régulation de l’autre.
Dans les situations de menace, notre cerveau rationnel, aussi performant soit-il, devient inaccessible : la créativité disparaît et nos capacités cognitives diminuent. Nous sommes bien plus intelligents lorsque nous sommes calmes, confiants et ancrés dans notre système d’engagement social. C’est dans cet état de confiance que notre quotient intellectuel et nos facultés de réflexion s’accroissent, à condition de bénéficier d’un environnement relationnel sûr et fiable.
La neuroception, processus inconscient, permet de détecter les signes de sûreté, de fiabilité et de respect, mais aussi de repérer les signaux de danger ou de menace.
Observer attentivement le visage, les expressions, la respiration ou la posture de l’enfant permet de repérer l’état de son système nerveux autonome. Lorsque les parents qualifient leur enfant d’« hypersensible », cela traduit un état de mobilisation, une activation du système sympathique qui s’est installée dans la durée.
Il est également essentiel de tenir compte des alertes transgénérationnelles, issues des épreuves et traumatismes vécus par nos ancêtres. Ces traumatismes continuent d’impacter la société, les institutions et la politique. Pour accompagner les autres, en particulier les enfants, il est indispensable de s’observer soi-même, de se comprendre et de se réguler.
Revenir sans cesse au corps
Notre société s’est trop focalisée sur le cognitif, sur l’attribution d’intentions, alors que l’enfant réagit d’abord aux signaux non verbaux. Si son corps adopte une posture défensive, il devient moins accessible et son apprentissage s’en trouve entravé.
Les ressentis émotionnels guident les comportements et influencent les récits personnels. Pour aider l’enfant à traverser une situation difficile, il est bénéfique de lui proposer des visualisations agréables et apaisantes, par exemple en l’invitant à se souvenir d’un moment de bonheur ou d’une personne qui lui apporte du réconfort. On peut aussi l’encourager à imaginer ce qu’il aimerait faire une fois la difficulté passée.
Il est essentiel que les parents se rendent accessibles à leurs enfants. Les mots seuls ne suffisent pas : ils peuvent s’asseoir au sol avec eux, jouer, bouger ensemble. Ces gestes sont précieux, même lorsque le parent a lui-même vécu une journée difficile.
Il vaut mieux privilégier les activités qui régulent l’enfant et de valoriser ses domaines d’excellence, afin qu’il puisse s’épanouir et recevoir des félicitations plutôt que des critiques. L’objectif est d’apprendre à se réguler à travers la conscience de soi et le sentiment d’accomplissement, et non par obéissance ou par peur de la réprimande. Enfin, la compassion du parent envers lui-même offre un modèle puissant, incitant l’enfant à développer la même bénévolence envers lui-même.
Mona Delahooke conclut : « La théorie polyvagale apporte aux parents et aux enseignants la possibilité de nous considérer, nous et nos enfants, avec un regard doux pour voir leurs comportements à travers un filtre neurobiologique qui nous conduit toujours vers plus de compassion et d’amour. »
Le fond de chaque humain est fait de compassion, de bénévolence et de générosité, confirme Stephen Porges. Offrons donc aux enfants la possibilité d’exprimer leur nature profonde et déployer tout leur potentiel d’humains en devenir.
Résumé proposé à partir d'un entretien entre Stephen Porges et Mona Delahooke :
"A paradigm shift in understanding children's behaviour": conversations with Drs. Mona Delahooke and Stephen Porges, Polyvagal Institute (PVI), 2025.


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