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Deux vignettes cliniques : Marie au travail ; Léo à l'école.

1. Marie ou la sensibilité dans le cadre professionnel

Le monde professionnel, avec son rythme soutenu et ses exigences de performance, peut devenir un véritable champ de tensions pour les personnes hautement sensibles.

À partir de l'histoire de Marie, 30 ans, ancienne employée en comptabilité, nous allons explorer comment sa sensibilité s’exprimait dans son parcours. Il illustre les défis auxquels sont confrontées de nombreuses personnes hautement sensibles au travail.

Marie est arrivée en consultation épuisée, sans comprendre pourquoi un poste « simple », qu’elle aimait pourtant au départ, était devenu une source constante de stress et de larmes.

La thérapie de Marie

Ancienne comptable, Marie consulte en pleine période de grande détresse professionnelle. Ces derniers mois, elle dit avoir subi des remarques dévalorisantes, une pression constante, le poids d'une ambiance froide et tendue.

Très engagée dans ses relations, elle a tenté de créer du lien en apportant des gâteaux, en remplaçant ses collègues constamment, mais elle ressentait que l’ambiance n’a pas changé et que le regard des autres sur elle restait le même. Peu à peu, elle s’est sentie rejetée et incomprise.

L’open space était pour elle une épreuve : le bruit, les échanges permanents, la lumière crue, les odeurs de café ou de nourriture, tout l’envahissait. Elle disait se sentir oppressée. En fin de journée, elle pleurait souvent dans sa voiture, incapable de contenir la tension accumulée.

Sous le coup du stress, son esprit se bloque, elle n’arrive plus à se concentrer ni à prioriser. L’anxiété monte, puis la fatigue la vide complètement. Ces blocages répétés, associés à une grande émotivité, ont conduit à un arrêt de travail, puis à une démission.

Depuis, Marie évite toute perspective de retour à l’emploi, la simple idée de retravailler la paralyse. Elle vit avec son compagnon et un chat, consacre beaucoup de temps au rangement et à la création d’histoires pour enfants, qu’elle n’a encore jamais osé partager.

Pour orienter l’accompagnement de Marie de façon pertinente, il est nécessaire d’examiner son profil sensible dans ses différentes composantes. Cette analyse permet de repérer les dimensions de la sensibilité qui dominent chez elle, afin de mieux comprendre ses réactions, ses blocages et ses besoins profonds.

L’Observatoire de la sensibilité a mis en évidence plusieurs dimensions qui composent la sensibilité élevée. Chez chaque individu hautement sensible, ces dimensions se manifestent avec une intensité et une expression variables, influençant la manière de percevoir, de ressentir et d’interagir avec le monde.

 

Quelles sont les dimensions de sensibilité prédominantes chez Marie ?

Sensorielle :  hyperréactivité au bruit, aux odeurs, à la lumière et à la densité humaine de « l’open space », qui provoque une surcharge sensorielle quotidienne entraînant épuisement des ressources attentionnelles et pleurs après le travail.

Réactivité émotionnelle : grande perméabilité affective. Marie ressent les tensions et le rejet implicite de son environnement. Ses émotions montent rapidement en intensité et se traduisent par des pleurs, des blocages ou des réactions de retrait.

Marie a également une mémoire émotionnelle forte, les expériences négatives la marquent profondément. Chaque critique ou conflit se réactive ensuite sous forme d’anticipation anxieuse (« ça va recommencer », « je vais décevoir »).

Empathie émotionnelle : Marie a un besoin fort d’harmonie et de reconnaissance. Au travail elle a effectué plusieurs tentatives de créer du lien. Marie cherche activement à plaire, à être utile, à apaiser le climat. Le fait de remplacer les collègues montre un besoin de reconnaissance et une tendance à se sur-adapter pour maintenir l’harmonie. Cela illustre une forme de loyauté émotionnelle typique des profils hautement sensibles - donner beaucoup pour préserver le lien.

Le fait que le regard des autres ne change pas, malgré tous ses efforts pour créer du lien, réactive chez Marie un profond sentiment d’injustice et d’impuissance. Son besoin de reconnaissance, très marqué, entre en tension avec l’impression persistante d’être ignorée ou mal comprise. Cette dissonance émotionnelle (elle donne beaucoup, perçoit finement les humeurs autour d’elle, mais ne reçoit que peu en retour) alimente un douloureux sentiment d’invisibilité.

Sensibilité cognitive : en situation de stress, perte des capacités exécutives, le cerveau de Marie se fige, la concentration et la hiérarchisation s’effondrent, on observe une surcharge du système nerveux et du cortex préfrontal.

Sensibilité esthétique : capacité d’imagination riche (écriture d’histoires), utilisée de manière protectrice et réparatrice. Marie a un potentiel créatif, à déployer davantage, pour le moment non exprimé publiquement très probablement à cause de sa peur d’être jugée.

Après avoir identifié le profil de Marie, nous pouvons étudier ce qui se joue dans son cerveau d’un point de vue neurologique, afin de mieux comprendre les mécanismes à l’origine de son fonctionnement et de ses réactions émotionnelles.

Hyperactivation de l’amygdale

Le cerveau de Marie interprète le contexte professionnel comme menaçant (visages fermés, remarques sèches, silence tendu). L’amygdale s’active, déclenchant vigilance, tension musculaire et stress chronique.

Ce mode de survie bloque le raisonnement rationnel (préfrontal) et entraîne des blocages cognitifs.

Quand l’ambiance est tendue, l’insula (impliquée dans la conscience corporelle et émotionnelle) active le système nerveux autonome, augmentant le rythme cardiaque, la respiration, la tension musculaire, d’où la sensation d’oppression et les larmes après le travail.

Cette suractivation renforce le signal émotionnel, créant une boucle de renforcement : plus elle ressent, plus elle est submergée, et plus son corps confirme qu’il y a « danger ».

À force, le corps devient le miroir du stress : chaque détail sensoriel (bruit, parfum, ton de voix) est interprété comme une menace émotionnelle.

Déséquilibre du système nerveux autonome

Son système sympathique (alerte, stress) s’enclenche rapidement, tandis que le parasympathique (apaisement) peine à ramener le calme. Marie ressent un épuisement nerveux, part en pleurs de décharge après le travail, rencontre des difficultés à se réguler émotionnellement.

Parcours thérapeutique

Voici donc les axes thérapeutiques à proposer à Marie, afin de l’aider à retrouver son équilibre et revenir dans le monde du travail avec plus d’assurance et de confiance.

  • Rétablir l'équilibre entre système sympathique et parasympathique

Exercices de respiration vagale, cohérence cardiaque, relaxation sensorielle (sons doux, textures apaisantes, lumière tamisée). Mouvements pour activer le nerf vague ventral.

  • Reconnaissance et réhabilitation de la sensibilité

Aider à déculpabiliser les blocages, comprendre qu’ils correspondent à un état de stress élevé.

Psychoéducation sur la haute sensibilité, compréhension du fonctionnement neurobiologique.

  • Diminution du stress relationnel

Apprendre à repérer les signaux internes de saturation et poser des limites sans craindre le rejet.

Techniques de communication assertive, travail sur les schémas de peur du jugement.

  • Réactivation du plaisir et de la créativité

Réinvestir son potentiel imaginatif comme ressource de sens et de réparation, lui proposer de l’explorer davantage pour envisager un domaine professionnel en lien avec sa créativité.

  • Exploration du domaine professionnel

Explorer des environnements de travail compatibles avec son profil sensoriel et émotionnel :  proposer un bilan de compétences, orientation vers un espace plus calme ou une activité avec un rythme autonome, vers une entreprise libérée ou une start-up avec un état d’esprit plus souple.

Récapitulatif

Marie présente un profil de sensibilité mixte, dominé par les dimensions sensorielle, émotionnelle et empathique, avec un fort potentiel créatif.

Son système nerveux, souvent en état d’alerte prolongé, la maintient dans un cercle de vigilance et d’épuisement.

Le travail thérapeutique visera à réguler la réactivité physiologique, restaurer la confiance dans son rythme naturel, et réconcilier la sensibilité avec le monde professionnel.

Lire l'article sur la neuroception.

Nous pouvons présenter ces explications à Marie pour la rassurer.

Marie,

Votre parcours professionnel a révélé votre fonctionnement neuro-sensible particulier, que l’on retrouve chez de nombreuses personnes hautement sensibles. Votre cerveau et votre système nerveux perçoivent et ressentent le monde avec une intensité plus grande que la moyenne.

Chez vous, le centre d’alerte émotionnel se déclenche très vite dès qu’un signal semble menaçant : un ton sec, un regard froid, un silence pesant. Même lorsqu’il n’y a pas de danger réel, votre cerveau sonne l’alarme. Cette vigilance accrue épuise vos ressources et finit par freiner votre concentration et votre motivation.

Votre cerveau analyse, anticipe et planifie, reste en activité en permanence. Il cherche à comprendre, prévoir et contrôler pour éviter toute nouvelle blessure.

Cette suractivité mentale, bien qu’utile pour la précision et la rigueur, peut devenir un piège, vos pensées tournent en boucle et l’angoisse monte.

Dans « l’open space », tous vos sens sont sollicités en même temps : le bruit des claviers, les conversations, la lumière artificielle, les parfums, les odeurs de nourriture… Votre cerveau capte tout simultanément, sans pouvoir filtrer.

Cette surcharge sensorielle engendre un véritable épuisement car le corps reste tendu, les émotions débordent, et les pleurs apparaissent comme une libération.

Vous percevez les ambiances, les tensions, les non-dits. Vous cherchez naturellement à adoucir les relations, à créer du lien et de la chaleur. Dans un environnement froid ou compétitif, cette sensibilité devient douloureuse, le moindre rejet se vit comme une blessure profonde.

Ce qui se passe dans votre corps

Votre système nerveux alterne entre deux modes : le système sympathique, qui déclenche stress et action, le système parasympathique, qui apaise et régénère.

Chez vous, le système sympathique s’active rapidement, tandis que le parasympathique met plus de temps à reprendre le dessus. Cela explique ces phases de tension intense suivies d’un épuisement profond.

Les pistes pour retrouver l’équilibre

La première étape consiste à apaiser votre système nerveux : apprendre à reconnaître les signes de surcharge (battements du cœur, crispation, brouillard mental) et activer consciemment le frein du calme.

Quelques outils simples peuvent vous aider :

  • respiration lente et profonde, cohérence cardiaque,

  • moments sensoriels doux (silence, lumière tamisée, musique apaisante, contact avec la nature),

  • mouvements pour activer votre nerf vague ventral (système parasympathique),

  • rituels de pause et de récupération entre deux activités.

Il est aussi essentiel de favoriser votre rythme naturel pour éviter des blocages liés au stress. Peut-être pouvez-vous organiser vos journées de travail en prévoyant en avance le volume à traiter et identifier les priorités.

Enfin, votre créativité est une source précieuse d’équilibre. Elle mérite d’être mise au service non pas pour fuir la réalité, mais pour la transformer et l’enrichir.

Marie, votre sensibilité n’est pas un obstacle à votre vie professionnelle. Elle demande simplement un environnement et un rythme qui la respectent. En apprenant à mieux comprendre votre fonctionnement, vous pouvez transformer ce que vous percevez comme fragilité en une véritable boussole intérieure, qui guidera vos pas avec confiance et assurance.

 

Article rédigé par Ekaterina Fridman

Praticienne en psychothérapie

Sensibilis : https://sensibilis.fr/

2. Léo et sa sensibilité ignorée

Le cadre scolaire, par ses règles implicites et son rythme soutenu, met certains enfants en tension bien au-delà de ce qui est visible. Chez les enfants hautement sensibles, cette tension ne s’exprime pas forcément par du retrait ou de la discrétion. Elle peut prendre des formes plus dérangeantes et plus bruyantes.

Il arrive alors que la sensibilité ne soit pas reconnue pour ce qu’elle est, mais interprétée comme un trouble du comportement. L’enfant devient « oppositionnel », « provocateur », on lui reproche d’être « difficile » ou « pénible », alors qu’il tente de faire face à une surcharge sensorielle et émotionnelle qu’il ne sait pas encore réguler.

À travers l’histoire de Léo, 9 ans, nous allons explorer comment une haute sensibilité peut se dissimuler derrière un diagnostic de « trouble oppositionnel avec provocation » (TOP), et comment l’observation clinique permet de déplacer le regard : du symptôme vers le fonctionnement, du comportement vers le système nerveux, de la sanction vers la compréhension.

Thérapie de Léo

Léo franchit la porte du cabinet avec son père. L’enfant avance prudemment, observant la pièce, chaque détail captant son attention : le bruit de la rue, la lumière qui change avec le rideau, le tic-tac de l’horloge. Le père s’assoit, crispé, les mains serrées sur ses genoux.

« La psychologue de l’école pense qu’il a un TOP », explique le père, hésitant. « À l’école, il refuse les consignes, s’énerve, conteste. On nous dit que c’est son tempérament, qu’il défie l’autorité… »

Léo, en fronçant les sourcils, ajoute timidement : «Je n’y arrive pas. Tout va trop vite dans ma tête.»

En séance, le contraste est immédiat. Loin du cadre scolaire autoritaire, Léo se montre attentif, curieux, observateur : « Pourquoi on doit faire ça comme ça ? Combien de temps ça dure ?»

Lorsqu’on lui demande pourquoi il se met en colère, il répond : « Je sens que ça monte dans ma tête, je deviens tout rouge… et je ne sais pas quoi faire. » Puis il raconte ses journées : « À l’école, quand ça change tout le temps, je ne peux pas… ça me rend fou. Si quelqu’un crie ou que le bruit est trop fort, j’ai mal dans la tête et je deviens rouge.  J’ai envie de quitter la classe ou de me mettre sous la table»

Le père intervient, un mélange de frustration et de soulagement dans la voix : « Les devoirs, le matin… on croyait qu’il faisait exprès de ne pas écouter, qu’il fallait le recadrer. Maintenant, je comprends… ce n’est pas volontaire. »

Au fil de la discussion, Léo révèle des sensibilités jusque-là insoupçonnées : certaines textures de vêtements le grattent, le bruit en cantine le paralyse, les lieux agités le font reculer. « Après l’école, j’ai mal au ventre et je ne peux rien faire… Je dors mal. »

Pour orienter l’accompagnement de Léo, il est nécessaire d’examiner son profil sensible dans ses différentes composantes grâce à un entretien approfondi avec ses deux parents.

Cette exploration permet de repérer les dimensions de la sensibilité qui dominent chez lui, afin de mieux comprendre ses réactions, ses blocages et ses besoins profonds.

L’Observatoire de la sensibilité a mis en évidence plusieurs dimensions qui composent la sensibilité élevée. Chez chaque individu hautement sensible, ces dimensions se manifestent avec une intensité et une expression variables, influençant la manière de percevoir, de ressentir et d’interagir avec le monde.

Dimensions de sensibilité prédominantes chez Léo

  • Réactivité sensorielle : Léo est très réactif aux sons, aux lumières, aux textures et à la densité humaine. Cette surcharge sensorielle provoque épuisement et irritabilité, souvent interprétés comme de la provocation ou de l’opposition.

  • Réactivité émotionnelle : Léo ressent intensément les tensions et les injustices. Ses émotions montent rapidement et se traduisent par des colères ou un retrait.

  • Empathie et perception sociale : Il perçoit les ambiances, les regards, les non-dits. Son opposition est souvent une protection contre un environnement perçu comme envahissant ou injuste, et non un défi volontaire.

  • Sensibilité cognitive : Il anticipe, analyse, rumine. Quand ses ressources sont saturées, il devient incapable de se concentrer, et son cerveau se fige, renforçant son épuisement et ses réactions émotionnelles.

  • Intensité émotionnelle et physique : Les sensations corporelles (maux de ventre, de tête, tensions, fatigue) signalent une surcharge du système nerveux autonome, révélant la profondeur de son vécu sensoriel et émotionnel.

 

Quel est le profil de sensibilité dominant chez Léo ?

Chez Léo, la sensibilité ne s’exprime pas ni par la timidité ni par l’inhibition, mais par un stress intense. Son système nerveux fonctionne en état de vigilance élevée, quasi permanente. Il capte rapidement les signaux de tension, d’injustice, de bruit ou d’imprévu, et les interprète comme des menaces internes qui le mettent dans l’urgence.

Dans ce contexte, l’opposition et les colères ne relèvent pas d’un refus de l’autorité, mais d’une réaction de survie. Lorsque le stress dépasse son seuil de tolérance, les capacités de régulation s’effondrent : Léo ne peut plus réfléchir, donc ni négocier ni s’adapter. Son corps prend le relais. Dire « non », s’emporter, quitter la classe ou se mettre sous la table deviennent des tentatives instinctives pour stopper l’excès de stimulation et retrouver un minimum de contrôle.

Ce profil stressé se manifeste également par une grande fatigabilité, une difficulté face aux transitions, une intolérance à l’imprévu et une rumination intense. Léo anticipe beaucoup, se montre exigeant envers lui-même, et accumule une tension interne tout au long de la journée scolaire. Lorsque cette tension n’a pas d’espace pour se décharger, elle explose sous forme de comportements qualifiés d’« oppositionnels », alors qu’ils sont l’expression d’un système nerveux saturé.

Comprendre Léo à travers ce prisme permet de déplacer radicalement la lecture clinique : ce n’est pas un enfant qui cherche à s’opposer, c’est un enfant qui lutte contre un niveau insupportable de stress chronique.

Après avoir identifié le profil de Léo, nous pouvons étudier ce qui se joue dans son cerveau d’un point de vue neurologique, afin de mieux comprendre les mécanismes à l’origine de son fonctionnement et de ses réactions.

Activité neurologique

Chez Léo, le fonctionnement cérébral est dominé par une suractivation des circuits de stress. Son cerveau ne traite pas l’environnement scolaire comme neutre, mais comme hautement stimulant, imprévisible et potentiellement menaçant. Cette lecture n’est pas cognitive, elle est neurobiologique.

Hyperactivation de l’amygdale

L’amygdale, centre de détection du danger, s’active chez Léo de manière rapide et intense. Des stimuli ordinaires pour d’autres enfants, tels que bruit, agitation, ton de voix ferme, changement de consigne, injustice perçue, sont interprétés comme des signaux d’alerte. Le cerveau de Léo entre alors en mode survie.

Cette activation déclenche une montée brutale du stress, une tension corporelle immédiate, une accélération du rythme cardiaque et respiratoire, une perte rapide de la capacité à inhiber les réactions impulsives.

Dans cet état, Léo ne choisit pas de s’opposer. Son système nerveux sympathique agit avant que la pensée n’ait le temps d’intervenir.

Inhibition du cortex préfrontal

Lorsque l’amygdale est suractivée, le cortex préfrontal, responsable de la régulation émotionnelle, de la flexibilité cognitive, de la prise de recul et du respect des consignes, voit son activité diminuer. Concrètement, cela signifie que Léo ne parvient plus à se conformer aux règles, n’accède plus à la réflexion logique, perd sa capacité à verbaliser ce qu’il ressent, devient rigide, impulsif ou explosif.

Rôle de l’insula

L’insula, impliquée dans la perception corporelle et émotionnelle, est également très sollicitée chez Léo. Elle amplifie la conscience des sensations internes (tension, agitation, maux de tête et de ventre, rougeur du visage) et externes (bruit, lumière, mouvements). Cette haute sensibilité sensorielle crée une surcharge rapide, que le cerveau n’arrive pas à filtrer.

Léo ressent alors un envahissement global : trop de bruit, trop d’informations, trop d’émotions. La colère ou l’opposition deviennent des tentatives de décharge neurophysiologique.

Déséquilibre du système nerveux autonome

Le système nerveux autonome de Léo est dominé par le système sympathique (alerte, mobilisation, défense). Le système parasympathique, chargé de l’apaisement et du retour au calme, peine à reprendre le relais.

Ce déséquilibre explique la difficulté à se calmer seul, la persistance de l’agitation après l’école, l’épuisement en fin de journée, les troubles du sommeil et les somatisations.

Sans espaces de récupération suffisants, le stress s’accumule et abaisse encore davantage son seuil de tolérance.

En quoi cela peut ressembler à un TOP (trouble oppositionnel avec provocation)

Vu de l’extérieur, ce fonctionnement neurobiologique peut ressembler à un trouble oppositionnel : refus des consignes, crises, rigidité, colère face à l’autorité. En réalité, dans ce cas précis, il s’agit d’un enfant dont le système nerveux est chroniquement en état d’alerte, incapable de maintenir un fonctionnement régulé dans un environnement trop exigeant pour son seuil de sensibilité.

Comprendre ce fonctionnement permet de changer la posture éducative et thérapeutique : on ne cherche plus à corriger un comportement, mais à réguler un système nerveux.

Propositions des axes thérapeutiques

Réguler le système nerveux avant toute autre démarche

Chez Léo, toute intervention éducative ou thérapeutique efficace doit commencer par la régulation neurophysiologique. Tant que son système nerveux reste en état d’alerte, aucune consigne, sanction ou explication ne peut être intégrée.

  • Objectifs thérapeutiques : abaisser le niveau de stress de base, augmenter le seuil de tolérance à la stimulation, restaurer un sentiment de fiabilité interne.

  • Nous pouvons proposer les exercices de respiration lente et rythmée adaptés à l’enfant, du yoga pour enfants, des temps de décharge après l’école (isolement calme, silence, activité sensorielle apaisante), rituels de transition pour marquer les passages (école - maison, activité - repos).

 

Fiabiliser le cadre pour diminuer l’opposition

Léo ne s’oppose pas au cadre en soi, mais à son imprévisibilité. Plus le cadre est flou, changeant ou imposé sans préparation, plus le stress monte.

  • Objectifs thérapeutiques : rendre l’environnement clair, lisible et prévisible, diminuer l’anticipation anxieuse, réduire les déclencheurs de stress.

  • Ajustements recommandés : annoncer les transitions à l’avance, expliquer les raisons des consignes, limiter les injonctions brusques ou autoritaires, proposer des choix limités pour redonner un sentiment de contrôle, instaurer un espace refuge à l’école et à la maison.

Un cadre clair et rassurant diminue de fait les comportements dits « oppositionnels ».

 

Changer le regard porté sur l’opposition

Il est fondamental d’aider l’entourage à comprendre que l’opposition est un signal, non un problème en soi. Chez Léo, elle indique une saturation du système nerveux.

  • Objectifs thérapeutiques : déculpabiliser l’enfant, désamorcer les escalades relationnelles, remplacer la logique punitive par une logique de soutien.

  • Travail avec les parents et l’école : décoder les signes précoces de surcharge, intervenir avant la crise (prévention plutôt que correction), utiliser un langage qui nomme l’état interne plutôt que le comportement (« tu es très tendu » plutôt que « tu es ingérable »).

 

Développer les capacités de régulation émotionnelle

Léo ressent intensément, mais ne sait pas encore identifier, contenir et exprimer ce qu’il vit autrement que par le corps ou la colère.

  • Objectifs thérapeutiques : enrichir son vocabulaire émotionnel, l’aider à reconnaître ses signaux internes, lui apprendre des pratiques de régulation adaptées à son âge.

  • Pistes de travail : médiations thérapeutiques (dessin, jeu, histoires, métaphores), identification des émotions via le corps, construction d’un « plan de secours » en cas de surcharge, explication de ses réactions (« ton corps t’envoie un message »).

 

Restaurer l’estime de soi et la sécurité relationnelle

Un enfant fréquemment perçu comme « difficile » internalise rapidement une image négative de lui-même. Chez Léo, cela alimente encore davantage le stress.

  • Objectifs thérapeutiques : restaurer une image positive et cohérente de lui-même, valoriser ses forces (empathie, lucidité, sensibilité), fiabiliser le lien avec les figures d’autorité.

 

En bref

L’accompagnement de Léo ne vise pas à faire disparaître ses réactions, mais à rééquilibrer son système nerveux, clarifier son environnement et lui donner des outils ajustés à sa haute sensibilité.

En comprenant que le stress est le moteur de son opposition, le travail thérapeutique permet de transformer un enfant « étiqueté TOP » en un enfant reconnu comme ultrasensible (fort sensible), qui pourra être compris, encouragé, soutenu, donc progressivement régulé.

Voir la régulation neurophysiologique de l'enfant.

 

Lettre rassurante aux parents de Léo

Madame, Monsieur,

Léo n’est pas un enfant « oppositionnel » au sens où il chercherait à défier l’autorité ou à provoquer volontairement les adultes. Ce que nous observons chez lui correspond à un fonctionnement neuro-émotionnel hautement sensible, dominé par un niveau de stress élevé et constant.

Son cerveau traite l’environnement avec une intensité supérieure à la moyenne. Le bruit, l’agitation, les changements, les injonctions rapides ou les tensions relationnelles sont perçus comme des signaux d’alerte. Lorsque cette stimulation dépasse ses capacités de régulation, Léo ne peut plus réfléchir ni s’adapter, son corps prend le relais. Les colères, les refus ou les fuites sont alors des réactions de protection, non des actes volontaires.

Il est important que vous sachiez que Léo ne choisit pas ces comportements. Ils apparaissent lorsque son système nerveux est saturé.

 

Ce qui peut aider réellement Léo

1. Réduire le stress

Léo a besoin de temps de récupération réguliers. Après l’école, privilégiez un moment de calme sans sollicitation (pas de questions, pas d’écrans), une activité apaisante choisie par lui (dessin, construction, lecture, musique douce), un espace où il peut s’isoler sans être puni.

2. Anticiper et clarifier les transitions

Les moments de passage (matin, devoirs, coucher, changements d’activité) sont particulièrement stressants pour lui.

Pour le rassurer, vous pouvez annoncer les transitions à l’avance (« dans 10 minutes, on… »), décrivez ce qui va se passer étape par étape, évitez les ordres brusques ou les ultimatums.

Plus Léo sait à quoi s’attendre, plus il peut s’apaiser.

3. Prendre soin de son système nerveux

Quand Léo est en crise, il n’est plus disponible pour entendre des explications ou des sanctions.

Dans ces moments vous pouvez baissez le ton de la voix, nommez ce que vous observez (« je vois que c’est trop pour toi »), proposez une pause plutôt qu’un rapport de force.

Le calme de l’adulte aide directement son corps à se détendre et son cerveau à fonctionner au mieux.

4. Lui redonner un sentiment de maîtrise

Le stress augmente fortement quand Léo se sent contraint sans marge de choix.

Vous pouvez proposer des choix limités (« tu préfères commencer par ça ou par ça ? »), lui permettre de demander une pause sans justification, valoriser ses efforts de régulation, même partiels.

Se sentir libre et acteur réduit considérablement l’opposition.

5. Changer le regard sur ses réactions

Léo a besoin d’entendre que ses réactions ont du sens, il n’est ni mauvais ni capricieux, son corps réagit plus vite et plus fort que la moyenne.

Cela contribuera à restaurer son estime de lui-même et à diminuer la honte, qui entretient le stress.

Il est important d’éviter les punitions à chaud, les confrontations prolongées, les comparaisons avec d’autres enfants, les injonctions du type « calme-toi » ou « fais un effort ».

Ces actions augmentent l’activation du stress et renforcent les crises.

Léo est un enfant sensible, intelligent, profondément réceptif à son environnement. Son opposition est un signal de surcharge. En l’aidant à réguler son système nerveux (donc à diminuer son niveau de stress), en rendant son cadre aussi clair et fiable que possible, en adaptant votre posture, vous lui permettez de retrouver progressivement ses capacités d’ajustement, de coopération et d’apprentissage.

 

Article rédigé par Ekaterina Fridman

Praticienne en psychothérapie

Sensibilis : https://sensibilis.fr/

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