Depuis plus de 25 ans, mes recherches concernent toutes les formes de sensibilité, et plus particulièrement la sensibilité élevée ou haute sensibilité, chez les enfants, les adolescents et les adultes, quelles que soient ses origines. Elles mettent en valeur la très grande diversité des sensibilités, en distinguant notamment l’hypersensibilité, souvent mal vécue et liée à des troubles physiques ou psychiques (voir la section QR, questions et réponses, après le test), de l’ultrasensibilité (ou haute sensibilité), bien vécue, centrée sur les synesthésies, la sociabilité, l’empathie, l’intuition et la création.
Dans le monde francophone, un consensus récent de thérapeutes et de chercheurs semble se former autour de l’appellation “Haut Potentiel Sensible” (HPS), pour mettre en valeur la haute sensibilité ou sensibilité élevée comme un trésor précieux à développer, protéger et déployer dans tous les aspects de sa vie.
Quelques informations importantes sur la haute sensibilité
* Malgré une récente habitude française, il vaut donc mieux parler de haute sensibilité, de grande sensibilité ou d’ultrasensibilité pour désigner les sensibilités plus élevées que la moyenne.
Hyper est un préfixe péjoratif qui désigne un excès, au contraire de ultra qui est valorisant et laudatif. Les poètes comme Baudelaire utilisaient déjà le mot "ultrasensibilité", au 19e siècle.
- Hyper = trop, un excès de
- Ultra = très, le degré le plus élevé de
Hypersensibilité est un terme médical, synonyme d’allergie ou d’intolérance.
Hypersensible est devenu une étiquette sur-utilisée, y compris par des personnes qui ne sont pas ultrasensibles.
Enfin, Elaine Aron elle-même nous invite à employer, comme tous les anglo-saxons, les appellations "haute sensibilité" et "personne hautement sensible".
* Environ un tiers de la population est hautement sensible (2 études de 2018 donnent 31 %) ; la moitié des personnes particulièrement sensibles le vit bien (étude de 2019).
1) étude adultes :
Lionetti, F., Aron, A., Aron, E. N., Burns, G. L., Jagiellowicz, J., & Pluess, M. (2018). Dandelions, tulips and orchids: evidence for the existence of low-sensitive, medium-sensitive and high-sensitive individuals. Translational Psychiatry, 8(1). doi:10.1038/s41398-017-0090-6
2) étude enfants de 10 à 15 ans :
Pluess, M. Assary, E. Lionetti, F. Lester, K. Krapohl, E. Aron, E. & Aron, A. (2018). Environmental Sensitivity in Children: Development of the Highly Sensitive Child Scale and Identification of Sensitivity Groups, Developmental Psychology, Vol. 54, No 1, p. 51–70.
* Les personnes hautement sensibles ou fort sensibles n'ont pas besoin de s'adapter aux critères et aux normes du reste de la population : elles peuvent vivre telles qu'elles sont, fières de leur sensibilité particulière.
* ll existe mille et une façons d’être hautement sensible.
Une haute sensibilité est caractérisée par une rapide sur-stimulation qui débouche sur une saturation et un besoin de repos. Elle peut se manifester sous plusieurs formes : sur-esthésie, sur-émotivité, sur-empathie, sur-cognition ou sur-réaction (traumatique le plus souvent, ou due à une maladie, un burn out, un bouleversement hormonal).
Une sensibilité élevée comprend au moins deux de ces formes, parfois plus, rarement toutes à la fois, alors que dans le langage courant on associe seulement les deux premières (sensations + émotions).
* Au-delà des synonymes, nécessaires pour désigner la complexité très nuancée des sensibilités élevées et atypiques, il existe un lien fondamental, essentiel, intrinsèque, entre sensibilité et intelligence. Notre intelligence se développe forcément à partir de notre sensibilité. Voilà pourquoi je parle d’intelligence sensible et affirme que les ultrasensibles sont des surdoués de la sensibilité.
Extrait
"Une des premières sources d'exacerbation mal vécue de la sensibilité provient simplement du dépassement d'un seuil qui correspond à ce qui, pour chacun, est la limite entre ce qu'il est possible de supporter et ce qu'il n'est pas possible (ou ne semble pas possible) de supporter. Au-delà de ce qui nous est supportable, nous pouvons devenir intolérants : à la douleur, à la lumière, au bruit, au travail, au changement, à la réflexion, à la présence de l'autre, sa parole, son odeur, etc. Nous pouvons perdre patience et nous sentir envahis d'émotions incontrôlables. Ce seuil de tolérance est d'autant plus bas que nous sommes fatigués, saturés, surmenés ou déjà affectés par une épreuve (traumatisme ou deuil, au sens large)."
Saverio Tomasella, Hypersensibles : Trop sensibles pour être heureux ?, Eyrolles.
Révolution sensible, révolution féministe
L’ultrasensibilité est bien plus qu’une notion à la mode, mais la capacité de changer le monde !
Texte de Vanessa Krstic, pour New Witch (04/2022).
Vous êtes à fleur de peau ? Les sons, lumières ou odeurs vous indisposent facilement ? L’injustice vous rend malade, le manque d’authenticité vous gêne ? La nature, les animaux et l’art apaisent vos maux ? Vous manquez de confiance ? Vous vous sentez fatiguée après un coup de stress ou trop de stimulation ? Vous débordez de créativité... ? Sans doute faites-vous partie des 20 millions de français hypersensibles, ou plutôt ultrasensibles, comme préfère les appeler Saverio Tomasella, psychanalyste et auteur*, pour qui le préfixe « hyper » est porteur d’une notion (péjorative) d’excès. Reste que si l’ultrasensibilité fût longtemps associée à une forme de faiblesse, elle est aujourd’hui l’expression d’une force à canaliser qui pourrait bien participer à l’avènement d’un monde meilleur. Un monde plus respectueux du vivant, plus ouvert aux mystères de la nature comme à la spiritualité laïque, et au féminin sacré présent en chaque être.
Une histoire de (la) sensibilité
Contrairement aux idées reçues, la sensibilité exacerbée n’a pas toujours été socialement rejetée. Comme le rappelle Saverio Tomasella, elle était même à l’honneur du XVIe au XVIIIe siècle dans les milieux cultivés : « Verser des larmes avec sincérité montrait la capacité à éprouver les sentiments humains. Un homme incapable de pleurer en public était perçu comme mal éduqué. Cela a changé à la fin du XVIIIe siècle, après que Napoléon Bonaparte instaura le Code Civil français et, avec lui, l’incapacité juridique de la femme mariée... signant le retour à un patriarcat féroce. La Révolution française n’a pas aidé : un nouveau modèle, dicté par la productivité, la rentabilité et le profit a connecté l’homme à un référentiel mécanique, et non plus humain. » Forcément, ce système tenu par les hommes a renforcé le machisme, éradiquant le droit à la sensibilité chez les hommes, et l’assimilant à l’« hystérie féminine ». Il faudra attendre 1996 pour que la psychologue et chercheuse en psychologie américaine Elaine Aron ne définisse le concept de « haute sensibilité », et quasiment vingt ans de plus pour que l’on commence à en parler en France comme d’une force, pas toujours facile à assumer.
Une question de genre ?
Les études le montrent : il y a autant d’hommes que de femmes ultrasensibles. D’ailleurs, selon une étude IPSOS réalisée pour Gilette en 2019, 87% des Français se considèrent comme sensibles, et 84% pensent qu’« être un homme sensible est positif, il faut en finir avec les stéréotypes ». Belle avancée ! Pourtant, selon Saverio Tomasella, si de plus en plus d’hommes osent avouer leur ultrasensibilité, il existe encore une différence dans l’expression des émotions masculines et féminines... et la biologie n’est pas en cause. Selon l’expert, beaucoup d’hommes restent encore attachés à l’idée qu’ils ne doivent pas pleurer. Mieux vaut se montrer en colère, histoire d’exprimer sa sensibilité avec virilité ! Et nous ? Il suffit de manifester une pointe d’agressivité pour être taxée de folle furieuse et accusée d’avoir « pété les plombs ». Mais les lignes bougent, se croisent et se décroisent en permanence. Ici, des femmes, bien décidées à prendre leur pouvoir, pensent encore que pour « réussir », elles doivent se substituer aux hommes dans un univers machiste. Là, des hommes, bien décidés à s’extraire du patriarcat, assument voire revendiquent leurs larmes. « Nous vivons dans un paysage sensible bigarré, où persistent encore des codes de l’ancien modèle, estime Saverio Tomasella. Et l’on voit, dans le même temps, émerger des revendications concernant l’identité ou l’expression de genre. » Envoyer valser les marqueurs de sexe nous autorisait donc à vivre notre sensibilité telle qu’on la ressent, en toute liberté ? Voilà une piste à creuser...
Une notion qui fait (encore) peur
Et peut-être même plus qu’il y a trois ans ! Entre la crise sanitaire, la guerre en Ukraine, le réchauffement climatique (...), se laisser aller à sa part sensible peut effrayer. L’endormir permet en effet de se couper de ce que l’on ressent. Comme le souligne Saverio Tomasella, « on se contente d’appliquer des idéologies, des programmes de pensée faciles à appliquer dès lors qu’on adhère au discours. Plus faciles à vivre, aussi, tant la sensibilité, dans toute sa singularité et sa subjectivité, nous pousse à aborder la vie avec profondeur, en écoutant nos sentiments, émotions, et intuitions. Une profondeur qui peut nous déranger, comme déranger les autres. » Eh oui ! Même notre collègue la plus froide, à moins d’être psychopathe (ce qui est assez rare) est douée d’empathie. Il suffit d’exprimer notre colère, notre tristesse ou notre peur pour réveiller chez elle des émotions miroirs. « Et cela, dans une société qui laisse encore bien trop peu de place aux émotions, ce n’est pas admis. Hélas, rappelle Saverio Tomasella, ce sont les gens dont la sensibilité est la plus faible qui créent les normes sociales. »
L’ultrasensibilité, une chance pour le monde
Pourtant, l’ultrasensibilité en tant que nouvelle norme sociale apporterait beaucoup. L’accepter pleinement permettrait de valoriser toute forme de sensibilité humaine. « Les gens cesseraient de croire qu’on ne peut pas vivre sans guerre, et seraient plus enclins à prendre soin de la planète, souligne Saverio Tomasella. Les personnalités sensibles étant plus proches du vivant et plus réceptives à ce qui abime la Terre, ce sont elles qui peuvent devenir la locomotive du changement climatique. » Et pas seulement ! Accueillir son ultrasensibilité et, mieux, l’ériger en symbole d’un nouveau paradigme, deviendrait un acte de désobéissance civile, une façon de lutter contre le patriarcat et contre un système sclérosé par les injustices sociales, économiques et climatiques. Et si l’ultrasensibilité était l’avenir de l’humanité ?
Mieux vivre ses émotions
D’après Saverio Tomasella, le premier écueil à éviter serait d’envahir les autres. Il ne s’agit pas de cacher ses émotions, mais d’éviter de bombarder les autres avec nos ressentis. Et pour cela, il est nécessaire de prendre soin de soi. « Plus on reconnait sa sensibilité, plus on apprend à percevoir ce dont on a besoin, comme du repos, et ce que l’on doit fuir, comme l’alcool, le thé et le café. On peut aussi utiliser des techniques de régulation émotionnelle qui fonctionnent : écrire ce que l’on ressent dans un journal intime ou sur des petits bouts de papier à jeter dans une boîte, l’énoncer à haute voix sur des mémos vocaux... Nécessaire aussi : poser des limites saines, en apprenant à décliner une invitation si l’on considère que l’on a besoin de repos ou de solitude ».
* À LIRE
- Ultrasensibles, Vuibert, 2023 (BD).
- Lettre ouverte aux âmes sensibles qui veulent le rester, Larousse, 2021.
- Osez votre singularité - Cessez de vivre une vie qui ne vous ressemble pas et lancez-vous ! Eyrolles, 2022.